L'"identité nationale", une idéologie contradictoire fondée sur l'exclusion
THOMAS GUENOLÉ
Le Nouvel Observateur
L’idéologie de l’identité nationale, comme toutes les utopies, décrit un monde imaginaire que ses partisans souhaitent mettre en place dans la réalité. En l’occurrence, il s’agit d’une nation française autoproclamée seule vraie "identité nationale", qui n’a en fait jamais existé.
Outre le Front national, les défenseurs de cette utopie sont les tenants de la droite sécuritaire au sein de l’Union pour un mouvement populaire. L’on peut citer notamment l’intellectuel d’extrême droite Patrick Buisson, ancien rédacteur en chef de "Minute" ; l’actuel président de l’UMP, Jean-François Copé, depuis sa campagne explicitement islamophobe lors de l’élection du nouveau chef du parti ; des personnalités plus jeunes de l’UMP telles que Geoffroy Didier, ayant fait campagne aux cantonales de 2011 sur "Non aux minarets, non à la burqa !".
Les défenseurs de cette utopie peuvent également être trouvés à l’ultra-droite, c’est-à-dire sous forme plus radicale encore que le FN, qu’il s’agisse de groupuscules politiques – par exemple le Bloc identitaire– ou de médias pure player : notamment Riposte laïque, qui devrait se rebaptiser "Riposte islamophobe" pour plus de clarté, et Fdesouche.
Une mécanique d'exclusion
Bien que produit par l’histoire pour toute nation réelle, le système de valeurs et de croyances de cette nation imaginaire, lui, n’est pas évolutif. Elle est située en dehors du temps. D’autorité et à tout jamais, elle est réputée héritière morale et philosophique de racines gréco-romaines et chrétiennes, elles-mêmes largement fantasmées et réécrites.
Deux exemples de réécriture éhontée :
- Étant hostiles au mariage des couples de même sexe, les partisans de cette utopie se revendiquent assez peu de la relation homosexuelle éraste-éromène qui était parfaitement normale dans la Grèce antique.
- Les mêmes partisans de cette utopie, une fois lancés dans l’apologie des racines chrétiennes de la France, effacent systématiquement ses racines juives, musulmanes, agnostiques et athées, tout comme ils effacent systématiquement ce qui, dans l’histoire de la nation française réelle, s’est construit contre le christianisme : la laïcité, notamment.
Toujours est-il que, sur la base de cette nation imaginaire et atemporelle, les partisans de cette utopie construisent une mécanique d’exclusion. En effet, ils postulent que face à ces racines gréco-romaines et chrétiennes, l’islam, donc le musulman et par amalgame l’Arabe, est lui-même héritier d’une "identité" "arabo-musulmane" incompatible avec cette "identité nationale".
Il s’ensuit que les musulmans, les Arabes, sont réputés ne pas être assimilables à la population nationale. Logiquement, les partisans de cette idéologie considèrent que faute de pouvoir s’assimiler à cette "identité nationale" réécrite, l’immigration arabe est par ailleurs, par essence, une source d’insécurité, de délinquance et de criminalité.
Une idéologie contradictoire
À ce stade, il faut souligner une énorme contradiction doctrinale qui ne semble pas embarrasser les partisans de cette utopie.
D’un côté, "l’Arabo-musulman" est supposé incapable de s’intégrer dans la société française. De l’autre côté, ce même "Arabo-musulman" a le devoir de s’intégrer. Il ne le peut pas, mais il doit le faire, sans pour autant en être capable : la contradiction est colossale, avec pour conséquence logique soit l’apartheid, soit l’expulsion.
Par parenthèse, le regard de type "Français de souche" sur les Français arabes ne va pas sans d’autres contradictions. Deux exemples sont à cet égard amusants.
Premier exemple : alors que l’identité nationale est une idéologie d’exclusion des nouvelles vagues d’immigration, elle occulte systématiquement que la France s’appelle France du fait d’une vague d’immigration, celle des Francs venus de l’actuelle Allemagne.
Elle omet par parenthèse que Clovis, premier roi de l’Histoire de France, était lui-même un immigré de la seconde génération, et que la culture franque n’avait pas grand-chose d’assimilable à la culture gallo-romaine du territoire sur lequel les Francs s’installèrent.
Second exemple : d’un illusoire point de vue "Français de souche", les Algériens nés avant l’indépendance sont en fait davantage Français que les Niçois, puisque les départements français d’Algérie ont existé dès 1848, contre 1860 pour celui des Alpes-Maritimes.
Où est l'"identité républicaine" ?
De fait, il est frappant de constater à quel point les mots ont un sens : "identité nationale", ce n’est pas la même chose que "identité républicaine".
D’un côté, l’identité nationale définit les Français par l’exclusion. Elle est fondée sur l’ancienneté, sous couvert d’exclure les plus récents arrivés au moyen de réécritures de l’histoire du pays. Ainsi leur nation imaginaire se définit-elle par ses racines – mais pas toutes –, de sorte que plus votre généalogie remonte loin dans cette histoire, plus vous êtes français. Symétriquement, plus l’insertion de votre généalogie dans cette sélection de racines est récente, moins vous êtes français.
De l’autre côté, l’identité républicaine définit les Français par l’inclusion. Elle est fondée sur la communauté de valeurs : le triptyque "liberté-égalité-fraternité", la laïcité, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et le programme du Conseil national de la Résistance.
Ainsi, cette nation qui, elle, existe, se définit par ses valeurs républicaines : de sorte que quelle que soit la date d’arrivée de votre lignée dans la communauté nationale, plus vous adhérez à ces valeurs, plus vous êtes français. Symétriquement, moins vos propres valeurs sont républicaines – extrême droite, extrême gauche, monarchisme maurrassien, anarchisme, etc. –, moins vous vous sentez partie prenante de la communauté politique appelée "République française".
Ce texte est le second épisode d’une série de chroniques estivales sur les utopies d’aujourd’hui. Voir l’épisode précédent : "Des États-Unis d'Europe peuvent-ils un jour exister ? Une utopie fragile pour 3 raisons."
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