Jean Daniel
1. Depuis dimanche dernier, on sait donc qu’il n’y aura pas de guerre d’Iran avant septembre, comme certains l’avaient affirmé avec outrecuidance. Mais l’on sait aussi qu’il n’y aura pas de discussion, sérieuse ou pas, entre Israéliens et Palestiniens. Le nouveau président iranien a pratiquement invité à un dialogue que les Américains se sont empressés d’accepter. Mais le Premier ministre d’Israël a déjà refusé toutes les conditions mises par les Palestiniens pour une négociation pourtant prévue, avec mille précautions, à Washington. Dans le premier cas, le secrétaire d’Etat John Kerry a obtenu ce que Barack Obama attendait de lui ; dans le second, il a échoué.
Voici donc investi le nouveau président iranien Hassan Rohani, un bon visage, à la fois grand-père protecteur et personnage de Pagnol. C’est un réformateur. Un adjectif très prometteur en pays d’islam à tous les moments de l’histoire. Pourra-t-il vraiment concilier la philosophie de son guide suprême avec les exigences occidentales sur l’arsenal nucléaire ? L’économie iranienne ayant été littéralement étranglée par les sanctions, dispose-t-il d’un autre choix ?
2. Dès son arrivée, un incident plaide en sa faveur. On lui avait prêté l’intention de préconiser, après tant d’autres, la disparition d’Israël. Aussitôt, Netanyahou avait dénoncé "le loup déguisé en berger". Mais quelques heures après, on découvre que le président iranien n’a pas prononcé les propos mis dans sa bouche. Tenant à marquer ses distances avec son prédécesseur, il a lui-même rectifié : il a seulement parlé d’une "cicatrice qui existe depuis des années sur le corps du monde de l’islam". La différence est considérable.
Il y a deux constats dont Hassan Rohani ne peut se détourner. Le premier : on ne peut pas jouer avec le droit à l’utilisation éventuelle de la bombe atomique en même temps que l’on fait le projet de voir Israël rayé de la carte. Il en a tenu compte. Le second : on ne peut pas espérer atténuer, ralentir ou modifier les redoutables sanctions économiques infligées aux Iraniens tout en se livrant à des proclamations intransigeantes, et parfois provocatrices, sur l’indépendance nucléaire de l’Iran et sur son droit à faire de la bombe ce que bon lui semble.
3. Sans doute Hassan Rohani a-t-il d’autres soucis immédiats. Il n’est pas encore accepté (légal mais non légitime ?) par certains des membres les plus influents de la hiérarchie que préside le Guide Suprême. Mais on peut dire que tout le reste dépend de l’Occident, ou de cette coalition dans laquelle figurent les Etats-Unis, la France et l’Arabie Saoudite, l’ennemi héréditaire. Si à cette tentative d’ouverture on continue de répondre, comme l’ont fait les Américains et les Français, que "toutes les options sont sur la table", sous-entendu celle d’une intervention militaire, la tâche du nouveau président iranien n’en sera pas facilitée.
4. Mais il y aura surtout, on le sait, ces entretiens que l’Autorité palestinienne avait accepté d’avoir avec les Israéliens à Washington sous les auspices de John Kerry. Le lien entre les deux dossiers n’est pas toujours compris, il est pourtant essentiel. On prête à Barack Obama une lassitude transformée en impatience devant l’insolence des défis que lui inflige Benjamin Netanyahou. Le Premier ministre israélien a eu du mal à faire accepter le principe de la rencontre de Washington, purement formelle, dont il assure lui-même que si jamais elle devait déboucher sur un projet quelconque, celui-ci s’étalerait dans le temps et serait constamment sous contrôle.
5. Les Israéliens ne croient pas à une "ouverture" de la part des Iraniens, et surtout, elle leur paraît destinée à les empêcher d’intervenir militairement. Tant qu’ils s’estiment menacés par l’Iran, ils trouvent de nouveaux arguments pour refuser l’évacuation des territoires de Cisjordanie. Et pour que nul n’en ignore, Benyamin Netanyahou vient de proclamer sur un ton mussolinien qu’il autorisait l’installation de 150.000 colons.
Barack Obama de son côté s’est promis d’effacer le souvenir des affronts qu’il a subis de la part de Netanyahou pendant son premier mandat. Pour le moment, c’est exactement le contraire qui se produit. Et il ne s’agit pas seulement d’une question d’orgueil personnel. Il s’agit de l’audience supplémentaire que les Américains recherchent en retirant aux Iraniens le monopole de la protection des Palestiniens. Ce n’est pas l’antisionisme fondé et organisé par l’ayatollah Khomeiny quand il a fondé en 1979 le nouvel Iran islamiste qui contribuera à la création d’un Etat palestinien indépendant.
6. Un accord israélo-palestinien ne conclurait pas tout, c’est entendu. Mais il empêcherait tous les musulmans pacifiques d’être accusés de trahison ou d’apostasie. En Egypte, où les Etats-Unis se sont embrouillés dans une politique soutenant successivement l’armée puis les Frères musulmans, où ils ne peuvent plus compter sur des hommes de prestige qui seraient à leur dévotion, l’un des principaux griefs qui leur sont faits tient à leur attitude envers Israël depuis les accords d’Oslo. C’est du Caire que Barack Obama avait fait son célèbre discours inaugural ; c’est au Caire que sa stratégie est en train de sombrer.
7. Quel est le pire qui puisse arriver ? Que les Israéliens mettent en échec la mission de John Kerry ; que les nouveaux dirigeants iraniens continuent de procurer une aide considérable aux Syriens, au Hezbollah et au Hamas ; et que le monde arabe, qui a peur de l’Iran tout en finançant certaines sectes islamistes, recommence à engager les Israéliens à intervenir en Iran. Mais le pire n’est pas toujours sûr et il dépend de nous.
Jean Daniel - Le Nouvel Observateur
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