martes, 1 de julio de 2014


Comment les Européens poussent les Américains à déréguler la finance

Le Monde.fr | 


Dans le cadre des négociations sur l'accord commercial transatlantique, les Européens s'apprêteraient à faire une proposition demandant moins de règles pour les banques et les marchés financiers et remettant en cause le travail d'encadrement de ce secteur réalisé depuis la crise.

C'est ce qu'a révélé un document qui a fuité grâce à un groupe bruxellois anti-lobbys appelé Corporate Europe Observatory (CEO). Ce dernier a en effet rendupublic, mardi 1er juillet, un projet de proposition de la Commission datant du 5 mars dernier, qui visait à convaincre les Etats-Unis de l'intérêt d'une coopération dans le domaine de la régulation financière des deux côtés de l'Atlantique.
Le traité de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis, le TTIP (Transatlantic trade and investment partnership), aussi appelé Tafta (pour Trans-Atlantic freetrade agreement) – en cours de négociation – doit faciliter les échanges en harmonisant les multiples normes et contraintes qui, des deux côtés de l'Atlantique, freinent le commerce.

Lobbying des banques européennes

Selon les auteurs de la note accompagnant la fuite, les chercheurs Myriam Vander Stichele et Kenneth Haar, ce travail est surtout l'aboutissement du lobbying des banques européennes qui voient l'intérêt d'alléger la pression qu'exercent les régulateurs américains sur leurs activités aux Etats-Unis.
« Il sera difficile à l'avenir d'adopter et de mettre en place des règles ambitieuses pour encadrer le secteur financier si la proposition de l'Union européenne intègre la 'coopération régulatoire', un ensemble de lois et de procédures qui doiventgarantir que la régulation de l'un n'empiète pas sur celle de l'autre. »
L'avantage pour les banques européennes serait que, grâce à ce « moins-disant régulatoire », elles pourraient opérer aux-Etats-Unis avec leurs propres réglementations européennes, plus laxistes, ce qui leur donnerait un avantage décisif par rapport à leurs concurrentes américaines. « De la pure mauvaise foi », lâche un négociateur européen, qui réfute l'idée que l'Europe veut affaiblir la législation européenne.

Des normes américaines plus strictes

Les normes américaines obligent par exemple les filiales de banques étrangères àdétenir un certain ratio de capital par rapport aux opérations menées, pour seprotéger en cas de pertes importantes.
L'ensemble des banques, étrangères et américaines, pourrait en outre bientôtdevoir rendre des comptes sur la totalité de ses activités concernant les produits dérivés (produit financier dont le prix varie selon le cours de l'actif sur lequel il est indexé : pétrole, dollar, obligations grecques...), y compris en dehors du pays.
Les représentants des grandes banques américaines sont plutôt favorables à l'idée de mettre ce dossier sur la table des négociations... avec l'espoir que cet accord coupe l'herbe sous le pied aux différentes réformes envisagées pourrenforcer l'encadrement de leur activité.

La loi bancaire européenne compromise

Mais l'administration Obama ne l'entend pas de cette oreille. Il y a un an, l'ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'Union européenne, William Kennard, avait déjà annoncé la couleur en se déclarant opposé à l'inclusion des servicesfinanciers dans les négociations commerciales entre l'Union européenne et les Etats-Unis :
« Il pourrait s'avérer contreproductif de les inclure dans une négociation commerciale, parce que cela pourrait la ralentir et l'alourdir avec des sujets qui n'ont pas besoin d'y être. »
Si la position américaine n'a pas changé d'un iota, les négociateurs européens continuent de faire pression pour intégrer les services financiers à l'accord transatlantique. « Ils seront sur la table lors du prochain cycle de négociation [du 14 au 18 juillet] », assure un fonctionnaire de la Commission, alors que des rumeurs insistantes faisaient état d'un arrêt des discussions transatlantiques sur ce chapitre.
« C'est écoeurant », réagit Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université Paris XIII et président du conseil scientifique d'Attac. « Tout se fait en secret alors que notre propre gouvernement participe à ces négociations et qu'il a soutenu, du moins officiellement, plusieurs projets de régulation européens, comme la loi bancaire, qui se retrouvent compromis. » 

Régulation bancaire : « L'Europe est moins stricte que les Etats-Unis »


Les autorités de régulation financière des Etats-Unis ont publié, mardi 10 décembre, la version définitive de la « règle Volcker », 900 pages au total qui visent à mieux encadrer les activités des banques et améliorer leurs procédures de contrôle interne.
Les cinq organismes de tutelle concernés, dont la Réserve fédérale (la banque centrale), la Securities and Exchange Commission et la Commodity Futures Trading Commission (les gendarmes des marchés financiers), ont repoussé d'un an, à juillet 2015, l'entrée en vigueur de ce texte, qu'elles doivent formellementadopter dans la journée.

Cette nouvelle règle obligera les banques à prouver que les transactions qu'elles réalisent avec leurs propres capitaux servent bien à couvrir un risque spécifique et non à spéculer dans le seul but de réaliser des profits.

Pour Jean-Louis Mourier, économiste chez le courtier parisien Aurel BGC, il s'agit d'un encadrement plus ambitieux que celui envisagé par la Commission européenne, actuellement en discussion en Europe.
Quel est l'enjeu de la loi Volcker ?
Dans les grandes lignes, il s'agit de séparer à nouveau les activités de marché risquées des banques de leurs activités de banque de détail. Sans revenirtotalement sur l'abrogation [en 1999] du Glass-Steagall Act, il s'agit de protéger les clients et les dépôts garantis par l'Etat fédéral des risques que les banques peuvent prendre sur les marchés pour compte propre.
A cet effet, l'engagement des banques dans de telles activités doit être limité à une faible portion de leurs fonds propres, au pire interdit.
Afin d'éviter les détournements, l'engagement des banques dans des entités dédiées (prises de participation ou prêts) qui exerceraient ces activités serait aussi limité.
Il semble que le projet de texte présenté comprend une définition extensive du trading pour compte propre.
Comment cette loi est-elle accueillie par les banques et quels peuvent êtreses effets ?
Les blocages éventuels ne sont pas principalement attendus lors du vote du texte, mais plutôt après : les banques américaines semblent prêtes à contester la loi devant les tribunaux.
Les conséquences sont difficiles à mesurer, si ce n'est que les volumes échangés devraient encore diminuer sur les marchés d'actif américains, notamment sur les dérivés.
Si cette réglementation s'applique telle qu'elle est exposée aujourd’hui, les banques vont voir leurs revenus se contracter.
Toutefois, l'effet net est difficile à appréhender : le trading pour compte propre concentre une partie des rémunérations les plus élevées des établissement concernés.
L'Europe veut aussi mettre en place un encadrement des pratiques des banques. L'approche est-elle similaire à celle des Etats-Unis ?
La législation envisagée en Europe semble moins stricte que celle proposée aux Etats-Unis, mais des aménagements sont encore possibles, des deux côtés de l'Atlantique.
En l'état actuel des projets, les banques pourraient conserver en Europe une activité pour compte propre plus conséquente qu'aux Etats-Unis.


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